Patrimoine & Histoire

— Les artisans de Marolles

Jean Touret, ne en 1916 en Mayenne se destinait à une carrière dans les assurances.
Fait prisonnier au début de la guerre, il est envoyé dans le sud de l’Allemagne, dans les montagnes boisées du Herzgebirge. Il y partage la vie rustique des paysans, il apprend la rudesse de la nature. Il est bucheron. Il découvre les arbres, le bois, qu’il apprend à évaluer, couper, et charrier.
De retour en France, il se sent incapable de réintégrer le monde petit bourgeois tel qu’il l’avait connu avant guerre. Il lui faut donner un sens plus large à sa vie.
Avant la guerre, il avait suivi des cours de dessin et de peinture au Mans avec un ami Maurice Rocher. Ils allaient ensemble peindre dans la campagne.
Il retrouve Maurice Rocher, devenu peintre, qui lui présente sa belle-sœur Odile. Jean Touret l’épouse.
En 1947, Il s’installe à Marolles, petit village de 450 habitants, à proximité de Blois.

Il vit avec sa famille dans les communs du château de Pezay, situé dans un parc à la sortie du village.

Il commence une carrière prometteuse de peintre. Une galerie parisienne écoule sa production régulièrement. Mais la galerie ferme.
Pour subvenir aux besoins de sa famille nombreuse, il se met à enseigner le dessin dans un collège de Blois, et participe aux travaux des champs dans les fermes.

Jean Touret fume la pipe. Il s’approvisionne au tabac du village,  tenu par l’épouse du menuisier, Monsieur Leroy. Son atelier est le lieu de réunion quotidienne des hommes du village. Jean Touret apprécie la simplicité et l’authenticité de ces paysans et artisans. Il entre dans leur intimité.

1950 : Les Artisans de Marolles

Jean Touret déplore le goût du grand public pour le mobilier standardisé, manufacturé en matériaux industriels, oublieux des savoir faire traditionnels, qui retire le travail aux artisans locaux.

Il décide de créer une association de production de meubles et d’objets décoratifs avec les artisans du village en associant les savoir-faire : un ébéniste, un ferronnier, un vannier et plus tard un céramiste.

Le noyau initial :
Jean Touret, directeur artistique
Emile Leroy, menuisier à Marolles
Son fils Maurice
Henri Vion, ferronnier à Marolles
Edmond Le Flohic, vannier à Marolles
Manuel Gold, potier installé à Marolles, venu de Paris

Jean TOURET, en tant que directeur artistique,  guide cette aventure communautaire avec un humanisme, emprunt de modestie.

Il travaille le bois dans sa nature, en particulier le chêne dont il exacerbe les fibres. Il engage des collaborations en réintégrant par exemple les peintures sur le coffre traditionnel et le piétement en fer forgé. L’objet mobilier est au cœur de sa réflexion.

Ce travail patient est exposé localement et connait progressivement un succès local et national vendu dans l’atelier de décoration de Primavera (Grands magasins du Printemps) à Paris alors dirigé par Colette Guéden.

L’ambition de Jean Touret est de développer une esthétique simple, noble et contemporaine tout en préservant les formes archétypales du mobilier rustique.

Le projet redynamise la vie du village.
Pour exemple la réalisation communautaire en 1950 d’un  char de carnaval, sur les plans de Jean Touret. Cet immense mammouth, abritant un opérateur tournant la manivelle d’une soufflerie manuelle de forge pour cracher par la trompe des confettis sur la foule, placé sur une remorque agricole tirée par un tracteur fleuri, a défilé à Blois.

En juin 1956, l’ORTF vient filmer tous les détails de la vie de cet étonnant village rural  beauceron réveillé par ses artisans paysans créateurs de mobilier rustique, attirant un public éclairé parisien , inventant une esthétique nouvelle basée sur des traditions anciennes et développant un modèle économique à contre-courant de l’industrialisation florissante.

Grande surprise des habitants de se voir apparaître presque en temps réel sur des écrans disposés à chaque coin de rue (aucun des habitants de Marolles ne possédait un téléviseur) sur l’unique chaîne de télévision, en noir et blanc,

Pour fêter l’évènement, un grand feu de la Saint Jean et un bal furent organisés sur la place du village.